Direction Artistique - Curatrice - Architecte 

MA CANTINE EN VILLE 


2013 - Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris


© Gaston Bergeret 

MA CANTINE EN VILLE


Manger dans la rue se résume souvent à avaler un « aliment préparé » en posture debout, pris entre les flots discontinus des piétons et celui des automobiles. Les bancs publics, jadis lieu de convivialité sont considérés désormais comme source de désordre ; tolérés dans nos jardins et nos parcs publics ils sont proscris de la plupart de nos rues. Hormis la terrasse de café, rien n’invite aujourd’hui à s’arrêter dans la rue pour se restaurer seul ou à plusieurs, se poser et prendre le temps. Cette réalité repose sur une représentation fonctionnaliste de l’espace public, exclusivement dédié à la gestion des flux, individus et marchandises. Pour celui qui refuse le déjeuner au bureau devant son ordinateur, dans l’entreprise, à l’usine, ou le dîner au restaurant, aucune autre alternative que celle du « fast food » et de la « baraque à frite », réalité exécrée de la « malbouffe ».

Pourtant, l’histoire nous enseigne que la rue n’a pas toujours été cet espace contraint par des normes d’hygiène et de sécurité, dédié prioritairement au commerce et à la circulation, mais un lieu où ce sont constituées et affirmées nos sociabilités et affinées nos vies collectives. Ailleurs dans le monde, la rue reste le théâtre fascinant dans lequel les humains se côtoient dans leurs multiples activités et notamment celles relatives aux « arts de la subsistance ». Dans nos récits de voyage les exemples abondent. En Chine, les marchés de nuit où l’on grignote de stand en stand ; à Tokyo le souvenir de soirées hivernales autour d’un bento au Yataï ; en Inde lorsque nous achetons notre plat au Dababblawwas ; à Bamako au petit matin chez la marchande de beignet ou à midi à Antananarive, écrasé par le soleil, à déguster un ravitoto à l’ombre dans un maki.

Certes le climat des pays du nord ne favorise pas l’extension de ces pratiques, se déployant le plus souvent dans des architectures sommaires, quelquefois même à ciel ouvert. Pourtant la persistance des foires, des marchés, mais également la recrudescence des fêtes de quartier, des vide-greniers, voire l’apparition récente des apéritifs géants, démontre s’il en était besoin les puissantes aspirations des citadins à investir les espaces publics pour briser la solitude et l’isolement. Nos sociétés développées, prises dans des tissus urbains en extension infinie, ont besoin plus que jamais d’hospitalité. Dès lors, s’installer pour manger dans la rue est une manière d’affirmer la qualité d’un lieu, d’un ici et maintenant ; un acte que l’on pourrait qualifier de politique puisqu’il affirme, en se posant, redonner de la qualité à l’espace public et de la valeur au temps collectif. Il s’agit rien de moins que de réactiver nos civilités, voire d’en inventer de nouvelles.

En reprenant l’idée de la cantine, dans sa signification historique - celle d’un meuble conçu à la fois pour le transport de vivres mais aussi en tant que réfectoire dans lequel sont pris les repas en commun - nous invitons les étudiants en architecture et en design à imaginer un dispositif (un objet hybride entre meuble, véhicule et architecture) capable de répondre non seulement à la préparation des aliments, à leur distribution, mais aussi à leur consommation dans la densité de l’espace public. Il s’agit d’un objet mobile, roulant ou transportable, adaptable à tous types de lieux (y compris les plus contraignants : le trottoir, la place de parking, etc…), ainsi qu’à toutes les conditions et variations climatiques. Il est facile à mettre en place et capable d’accueillir plusieurs convives dans des conditions de confort satisfaisantes. Bref, il doit inciter à s’arrêter, à déguster, à échanger et à demeurer.

Fiona Meadows (IFA) et Michel Bouisson (VIA) co-commissaires


Exposition produite par la Cité de l'architecture & du Patrimoine et le VIA

Vidéo :
Ma cantine en Ville.



Le catalogue : Mini Maousse 5. Voyage au cœur de la cuisine de rue - Sous la direction de DMichel Bouisson, Fiona Meadows
17 x 24 cm / 252 pages / octobre 2013 - Textes : français
ISBN : 978-2-862-278-07-0

Si manger dans la rue est une pratique universelle et ancestrale qui n'a jamais cessé d'exister dans un grand nombre de régions du monde, elle tend aujourd'hui à se développer et à se vivifier partout ailleurs. Les raisons de ce phénomène sont multiples : nécessité économique, mobilité croissante de "l'homo-urbanicus", aspiration à un renouveau de l'espace public, ou, tout simplement, plaisir de manger ici et maintenant.
Du truck californien sophistiqué au modeste foyer à bois posé à même le sol au bord d'une route malienne, en passant par le tricycle aménagé avec légèreté pour parcourir les faubourgs de Pékin, cet ouvrage explore - à travers des témoignages photographiques, des analyses socio-anthropologiques, mais aussi des actions/propositions de plasticiens, de designers, d'architectes - la réalité contemporaine et mondiale de ce que l'on appelle communément la "street food".
En adoptant ce thème, le 5e concours Mini Maousse se proposait de sensibiliser les étudiants en création (architecture, design) à un double enjeu planétaire, apparemment sans rapport direct : celui de l'alimentation et celui de l'espace public. Comment nourrir et se nourrir dans la densité et l'extension infinie de nos villes et comment faire que ces moments soient facteurs de sociabilité ? Mission réussie pour les projets présentés ici et qui, chacun à leur manière, par leur créativité et leur pertinence, donne envie de s'attabler au coin de rue.



Quelques lauréats

Ramène ton bol
Célia Derijard, Clémence Rouge et Yvonne Fandke / École Boulle, Paris


Deux à deux
Élodie Doukhan et Nicolas Mussche / École Spéciale d'Architecture, Paris
Elodie Doukhan et Nicolas Mussche, lauréats de la 5e édition du concours pour leur projet Deux à Deux, ont réalisé leur projet installé de façon pérenne en 2015 au cœur du domaine de Chamarande, un site patrimonial paysager et culturel de l’Essonne.


La machine à vapeur
Deborah Janssens et Élodie Elsenberger / École Supérieure d'Art et de Design de Reims



/Coup de cœur/ Au coin du grill
Simon Joyau, Charles Benjamin et Thibault Vallet / École Nationale Supérieure d'Architecture Paris-Malaquais
Simon Joyau et Benjamin Charles, lauréat du concours Mini Maousse 5 pour leur projet « Au coin du grill » ont monté leur société, Dinettes, en 2016